Homélie - 16e dimanche ordinaire A 2020

Homélie
2020/07/20
Homélie - 16e dimanche ordinaire A 2020

16e dimanche ordinaire (Année A 2020)

Homélie
(Sg 12,13.16-19 ;  Rm 8,26-27 ; Mt 13,24-43)

L’appel au pardon, une valeur évangélique !

Quand il écrit son Évangile, vers l’an 80, saint Matthieu ne peut pas ignorer ce qui se passe, se discute dans les communautés chrétiennes qu’il fréquente. C’est en échangeant avec ces chrétiens qu’il rappelle les gestes et les paroles de Jésus dont il a été témoin et aussi qu’il rédige son évangile pour que cette Bonne Nouvelle rejoigne les chrétiens d’ailleurs et même ceux des années à venir, donc nous aussi disciples de Jésus d’aujourd’hui. Comme il est le seul des évangélistes à rapporter la parabole lue en ce dimanche, on peut penser que les communautés qu’il fréquentait avaient particulièrement besoin d'entendre ce message du Seigneur. S’il nous est redit en ce dimanche, ce doit être parce qu’il vaut encore, et pour nous ici rassemblés.

Les récits évangéliques nous permettent de connaître les questions qu’on se posait dans ces communautés des débuts de l’Église. En lisant cette parabole sur l’ivraie et le bon grain on peut constater que des chrétiens d’alors se questionnaient sur l’Église en train de s’organiser et qu’ils se disaient entre eux que les disciples de Jésus devaient tous être des saints et des saintes. Ce qui alors les troublait, c’était de voir la présence du mal au sein de leurs communautés.

La vie nous fait savoir que tout groupe religieux est parfois porté à développer un idéal moral, auquel on voudrait bien que tous et toutes soient résolument fidèles. On en arrive alors à un modèle de vie qui n’accepte pas l’erreur, l’échec, la faute et on est enclin à exclure ceux et celles qui ne parviennent pas à se conformer à l’idéal proposé et le risque est réel que beaucoup des membres d’un tel groupe deviennent intransigeants et même sectaires de sorte qu’il n’y a pas place pour ceux qu’on reconnaît comme pécheurs publics.

N’en est-il pas encore de même actuellement, et dans notre propre société québécoise. Les sectes ne manquent pas, des groupes qui s’enferment dans leurs croyances, dans leurs manières de voir le monde et la vie et avec lesquels le dialogue devient difficile, sinon impossible. À un autre niveau, on voit aussi se développer, même chez les chrétiens soucieux de vivre selon l’Évangile, des courants de pensée demandant une justice encore plus sévère, exigeant qu’on garde les gens en prison le plus longtemps possible, sans penser à la réhabilitation possible. Se manifeste chez beaucoup un sentiment de colère et même de vengeance qui fait qu’on ne semble plus voir comme possibles le pardon et la conversion, pourtant des valeurs chrétiennes, évangéliques. Convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche… ce sont les tout premiers mots dits par Jésus au début de sa vie publique, un appel au pardon, une valeur sur laquelle il a tellement insisté ; il l’a même incluse dans la prière qu’il a laissée à ses disciples et que nous disons si souvent. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Le pardon des offenses! ! Comme il le fait si souvent, Jésus raconte alors une parabole. Le Royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or pendant que les gens dormaient, son ennemi survint; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla. Les serviteurs lui disent : Veux-tu que nous allions l’enlever. Voilà une histoire qui évoque ce que font ceux et celles qui ont un jardin et qui, nécessairement, doivent sarcler ou éclaircir les plants, s’ils veulent avoir une bonne récolte. Mais ce n’est pas de cela dont Jésus veut parler dans la parabole, Il insiste plutôt sur ce fait que le bon grain et l’ivraie sont tellement abondants et entremêlés qu’on ne peut pas arracher l’un sans arracher l’autre en même temps.

Ce que Jésus veut faire comprendre à ses disciples, c’est que le mal est inscrit au fond du cœur humain. La tentation est toujours grande d’être comme les serviteurs de la parabole. Nous voudrions tellement extirper le mal de nos familles, de nos écoles, de nos milieux, de notre Église. Mais il réapparaît sans cesse. Si vous lisez toute la lecture du récit de l’Évangéliste proposé par la liturgie, vous verrez que Jésus ose parler du Mauvais, du Démon. Et voilà que le pape François, dans ses homélies et ses entretiens, ose lui aussi parler du Démon, de Satan.

Jésus, tout comme nous, constate ce qu’est la réalité humaine. Il est venu nous délivrer de la mort et du mal, sa résurrection en est un signe clair. Mais le monde reste ce qu’il est, livré à la liberté des femmes et des hommes qui l’habitent. C’est ce que Dieu a voulu, des femmes et des hommes libres, et face à cette réalité qui en est la conséquence, la présence du mal, il se montre patient, tolérant. Il nous invite à nous montrer nous aussi patients et tolérants. La première lecture prise dans le livre de la Sagesse disait : Seigneur, toi qui prends soin de toute chose, ta force est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te rend patient. .... Toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement.  C’est parce que Dieu est grand et fort qu’il est patient, indulgent.

Il faut comprendre toutefois que la tolérance n’est pas la médiocrité ni l’acceptation du mal. Jésus n’est pas venu proposer un idéal à rabais et la route qu’il trace est exigeante, il n’a pas craint de le dire et de le répéter. On sait qu’il a été capable de protester, de lutter contre le mal, c’est le sens de tellement de ses miracles. On sait que s’il était capable de rabrouer fortement les gens qui le méritaient, il savait aussi pardonner, jusqu’à ceux qui l’ont cloué sur la croix.

Ce qu’il tient à nous faire remarquer par cette parabole, et dont nous devons tenir compte, c’est que dans la vie réelle, dans la société, tout comme dans l’Église, le mal et le bien sont présents et actifs. Pour les disciples de Jésus l’idéal évangélique demeure toujours ce vers quoi tous, toutes, sans exception, sont invités à tendre, mais tous n’y parviennent pas. Nous devons vivre dans ce monde-là, dans cette Église-là. Il ne faut pas, ni dans la société, ni dans l’Église, créer des frontières, croire qu’on peut bâtir des communautés où se retrouveraient seulement ceux et celles qui vivent l’idéal proposé. Nous sommes au temps de la patience de Dieu, au temps du pardon et de la miséricorde, de l’accueil et du dialogue. C’est Dieu qu’il faut prendre comme modèle comme nous le disait la première lecture :   Tu enseignes à ton peuple que le juste doit être humain, tu as pénétré tes fils d’une belle espérance : à ceux qui ont péché tu accordes la conversion. L’apôtre disait dans la deuxième lecture : L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse.  … Il intercède pour nous.

 Que la grâce de cette Eucharistie nous rende capables, nous personnellement tout d’abord, et aussi nos communautés, et notre Église, de compréhension, de tolérance, de pardon, d’espérance en notre conversion et en celles des autres.

 

Marc Bouchard, prêtre

mbouchard751@gmail.com